
En 1963, le jeune Stan Lee souhaite créer une nouvelle bande de super héros. On lui doit déjà la paternité de héros comme Spider-Man, Thor, Iron Man, Hulk ou encore les 4 Fantastiques. Pas simple après ça de trouver une nouvelle origine originale aux pouvoir de ces nouveaux héros. Une expérience qui tourne mal ? Nan, déjà fait au moins trois ou quatre fois. La perte d’un parent ? Vu, revu et rerevu.
Après des heures de réflexions, Stan Lee décide de jouer la carte de la paresse : ils seront tous mutants et puis ça ira bien comme ça. On a qu’à dire qu’ils sont nés avec leurs pouvoir. Voilà. Basta. On passe à autre chose. Voici comment sont nés les X-Men. D’un moment de flemme.
Depuis que je suis gamin on me répète matin et soir que la paresse c’est mal. C’est l’ennemi public numéro 1 à éliminer. Pour réussir dans la vie il faut travailler dur. Il faut de la discipline et de la volonté. Les paresseux ne font jamais rien de bien dans leur vie. On a rien sans rien. Les jeux vidéo rendent idiots, la branlette rend sourd et aveugle et patati et patata.
Quand on cherche des techniques pour être plus productif, on voit tout un tas d’articles qui nous expliquent comment être moins paresseux, comment dompter la paresse, comme apprendre à être plus discipliné et patati et patata.
La paresse c’est le mal. Il faut la vaincre absolument.
On a une image ultra négative du paresseux. Il suffit de faire une recherche Google Image pour se rendre compte que c’est loin d’être la gloire de se revendiquer paresseux. La paresse est tellement pointé du doigt qu’elle est même considérée comme un des sept péchés capitaux par la religion chrétienne.
Sauf qu’il y a une petite arnaque dans cette origine religieuse de la paresse.

Au départ le septième péché capital n’était pas la paresse mais l’acédie.
Kézako l’acédie ?
C’est une forme d’ennui profond qui détourne de la prière. L’acédie est une paresse morale qui éloigne de la religion. A l’origine, le paresseux c’est celui qui ne veut pas prier. Tu m’étonnes qu’on en fasse un péché capital.
Puis le mot acédie et tout l’aspect religieux a fini par disparaître pour laisser place à la paresse tout court. Avec le développement industriel, le Travail a pris sa place en tant que nouvelle religion d’Etat. La valeur travail s’est imposée dans la société. Le citoyen modèle ce n’est plus celui qui va à l’Eglise le dimanche, c’est celui qui arrive à l’heure à l’usine le lundi matin. Etre actif c’est tip top, ne rien foutre c’est mal. Le paresseux c’était celui qui refusait de prier. Maintenant que le travail est devenu la nouvelle religion le paresseux c’est celui qui refuse de travailler.
Etre productif c’est apprendre à vaincre la paresse pour travailler plus.
Pourtant les plus grandes inventions sont l’oeuvres de paresseux.
La personne à l’origine de la roue devait probablement avoir la flemme de marcher. Celui qui a inventé la brouette en avait sans doute marre de faire des aller retour en portant de lourdes charges à bout de bras. Imprimer des livres c’est quand même vachement plus pratique que de les recopier à la main un par un. La télécommande, plus grande de toutes les inventions, a été inventé parce que, soyons honnête, c’est chiant de se lever toutes les 5 minutes pour changer de chaîne à la télé.
La paresse n’est pas un défaut qu’il faudrait corriger pour être plus productif. C’est une qualité et une forme d’intelligence qu’il faut cultiver si on veut être plus productif.
Sommaire
- La paresse est une forme d’intelligence
- La paresse permet d’être plus productif
- La paresse est une source de bien-être
- Conclusion
La paresse est une forme d’intelligence
Vous vous souvenez de ces équations relous qu’on devait résoudre au lycée ? Avec des x partout, des inconnus dans tous les sens, des puissances, des racines carrés et tout un tas d’autres horreurs. En réalité tous ces symboles barbares avaient une utilité autre que détruire la confiance des lycéens. Prenons un exemple ultra simple.
On peut remplacer 2+2+2+2+2 par 2×5 pour gagner du temps.
Mais si on a 2x2x2x2x2, on peut également l’écrire 2^5.
Jusque là c’est simple, on parle de petites formules mathématiques. Mais quand on passe à des trucs complexes avec des infinies dans tous les sens ou des nombres avec plus de chiffres que de doigts pour les compter, il faut bien réfléchir à un moyen de simplifier tout ça.
Les symboles mathématiques, en plus de torturer psychologiquement les adolescents, ont pour fonctionner de nous faciliter la vie et nous faire gagner du temps. C’est une forme de paresse. La flemme d’écrire 2+2+2+2+2 quand je peux remplacer ça par 2×5. Je vous laisse imaginer maintenant si je dois développer quelque chose du genre 23,54×4898.
Philip Johnson-Laird est prof du langage et du raisonnement à l’université de Princeton. C’est encore lui qui parle le mieux de l’importance de la paresse lorsqu’il s’agit de cogiter :
Une calculatrice suit aveuglément les règles de multiplication ou addition. Elle n’utilise pas de raccourcis. […] La solution intelligente est plus paresseuse. Un champion d’échec qui gagne en étudiant toutes les possibilités de mouvements afin de choisir la solution optimale n’est pas aussi intelligent que le joueur qui évite explicitement d’examiner trop de possibilités parce qu’il préfère se concentrer sur les meilleurs mouvements. L’implication de ce genre de paresse est profonde. Plus précisément, être capable d’identifier des raccourcis nécessite souvent un raisonnement plus complexe, comme celui qui nécessite de discerner des symétries complexes dans l’espace.
Dit autrement, la paresse est une forme d’intelligence.
Tout de suite ça donne moins envie de lutter contre.
La paresse permet d’être plus productif
“Oui m’enfin t’es gentil Manu, mais la paresse qui consiste à glander devant Netflix allongé sur le canapé comme une baleine échouée sur la plage, c’est pas ce que j’appelle une forme d’intelligence.”
Non effectivement, végéter tous les jours sur son canapé ça n’a rien de productif. Mais réaliser 37 tâches par jour qui ne servent à rien ou passer 2 heures à choisir la bonne couleur de son logo, ce n’est pas être productif non plus. Le secret de la paresse est là : une personne paresseuse saura faire la différence entre être occupé et productif.
Lorsque j’ai décidé d’apprendre à devenir plus productif et plus efficace, ce n’était pas pour travailler plus. C’était pour travailler moins. Je souhaitais trouver un moyen de terminer mon travail le plus rapidement et le plus efficacement possible pour vite retourner jouer, lire, passer du temps avec mes amis ou regarder des films.
Une personne paresseuse n’a pas forcément envie de travailler 8 heures par jour ou écrire des to do list à rallonge. Au lieu de ça elle va apprendre à prioriser naturellement en se posant des questions comme “quelle est la tâche la plus importante que je puisse réaliser aujourd’hui pour avancer ?” C’est ni plus ni moins qu’une application de la loi de Pareto. Quelles sont les 20% d’efforts qui me permettent d’obtenir 80% des résultats ? La loi de productivité la plus célèbre est une loi de paresseux.
Cela dit on parle beaucoup de paresse, mais les gens paresseux ne le sont pas tout le temps. Ils préfèrent simplement allouer leur énergie aux choses les plus importantes et ne veulent pas faire d’efforts inutiles. Une personne adepte du “faut travailler dur” aura tendance à s’occuper à la fois des 20% et des 80% des tâches de la loi de Pareto. Résultat, elle sera toujours débordée et épuisée pour rien. La personne paresseuse se contentera des 20% qui produisent les 80% de résultats.
Lorsque je suis face à une liste de tâches longue comme mon bras, je vais opter pour l’option paresseuse. Je vais commencer par identifier les tâches les plus importantes et les plus urgentes, sélectionner celles qui m’apporteront le plus de bénéfices et bosser seulement sur celles-ci. Ma paresse m’aura conduit à travailler intelligemment.
La paresse est une source de bien-être
C’est la différence entre le champion d’échec qui va prendre le temps d’étudier seulement les actions les plus efficaces et un joueur lambda qui va étudier touuuutes les actions possibles. Malheureusement la société continue de valoriser seulement celui qui travaille inutilement. On continue d’associer le mérite à l’effort.
Une personne qui a galéré pour obtenir quelque chose aura plus de mérite qu’une autre personne qui l’a obtenu plus facilement. Une personne qui déplace tout une pile de bois à la main sera perçue comme plus méritante que celle qui utilise une brouette pour faire le même job en deux fois moins de temps. C’est un biais qu’on nomme “la croyance en un monde juste”.
Les méchants perdent à la fin et les gentils gagnent, les efforts sont toujours récompensés. Ceux qui méritent de réussir sont ceux qui bossent dur. Les paresseux ne méritent pas de réussir. Même si ce sont eux qui travaillent le plus intelligemment. Un héritage de l’aspect religieux de la paresse.
Une étude dévoilée en septembre 2022 [1] révèle que le stress est en augmentation de 9 points par rapport à 2020. En d’autre terme, 64% des travailleurs sont en situation de stress quotidienne. Selon une autre étude publiée la même année, 2,5 millions de travailleurs sont en situation de burnout, soit 25% de plus par rapport à l’année précédente [2] ! Que l’on soit salarié ou indépendant, ça ne change pas grand chose puisque les indépendants n’échappent pas à la pression du travail puisqu’un indépendant sur cinq présente des signes de burnout [3]. Bref tout le monde morfle à cause du travail. Pourtant Henri Salvador nous avait prévenu : le travail c’est la santé, rien faire c’est la conserver.
Face à cette crise sanitaire, les entreprises cherchent désespérément des solutions pour lutter contre ce stress qui se propage de plus en plus. Entre la création de postes de Chief Happiness Manager (…) pour veiller à ce que les salariés soient heureux au travail, les multiplications des team building et autres solutions censées diminuer le stress, tout ça ressemble à un pansement sur une jambe de bois.
Alors que la solution la plus évidente, la plus simple et la plus efficace consiste simplement à moins travailler. Quand on veut régler un problème généralement il faut remonter à la source du problème. La source du stress étant le travail bah…. il n’y a pas trente-six solutions : il faut moins travailler. Henri avait raison sur ce point.
On cherche tellement à être plus productif, faire les choses de plus en plus vite, de façons de plus en plus ambitieuses, que personne ne songe à ralentir le rythme. On nous explique que ralentir c’est prendre le risque de se faire dépasser par la concurrence et passer à côté d’opportunités, alors que ralentir reste la meilleure façon de lutter contre le stress et prendre soin de sa santé mentale.
Le repos n’est pas une récompense que l’on doit mériter. Le repos c’est une nécessité. C’est la seule façon de diminuer son stress pour ne pas sombrer dans le burnout. Mais c’est aussi une façon incroyablement efficace pour gagner en créativité. Dans une société où on nous encourage à être toujours plus productif, performant et efficace, ralentir le rythme et prendre du temps pour soi apparaît presque comme un acte de rebellion.
Aux Pays-Bas ils ont même un mot pour désigner l’acte de ralentir le rythme et ne rien faire : Niksen. Mais attention : le Niksen ce n’est pas de la paresse. Niksen c’est l’opposé de la productivité. C’est ne rien faire volontairement. C’est une tactique pour pour lutter contre le stress [4]. Eve Ekman est chercheuse au Greater Good Science Center, un centre dédié à la recherche sur le bien-être. Selon elle ralentir le rythme n’a que des bénéfices sur la santé. Que ce soit réduire l’anxiété, ralentir le vieillissement ou renforcer le système immunitaire, ne rien faire est de loin ce qu’il y a de plus efficace pour être en bonne santé.
Conclusion
En 1536, le théologien Jean Calvin écrit : “Dieu ne veut pas qu’on se repose […] que nous soyons lâches et oisifs comme troncs de bois”. Pour le dire autrement : arrête de te tourner les pousses, Dieu n’aime pas ça et te surveille. Si tu veux avoir un accès VIP au Paradis, il va falloir le mériter en te sortant les doigts et en frôlant le burnout.
Environ 200 ans plus tard, Benjamin Franklin en rajoutera une couche en 1748 en écrivant “le temps c’est de l’argent.” Traduction : c’est pas en glandant qu’on va s’enrichir, pas une minute à perdre, au boulot ! Et garde bien en tête que chaque minute non travaillée est une minute où tu perds de la thune.
Nouveau saut dans le temps jusqu’à aujourd’hui en 2022 : nous sommes 2,5 millions de français à souffrir du burnout.
Lorsque j’étais adolescent, je me souviens que mon père ne supportait pas de me voir rien faire pendant mes week-end. Cinq jours de cours au rythme de 8 heures par jour (sans compter les temps de transport et les devoirs à la maison pour le lendemain), ce n’était pas encore suffisant pour mériter ne rien faire de mon week-end d’ado.
Ne rien faire est vu comme l’ennemi à abattre.
Alors que le véritable ennemi c’est le stress.
Et la meilleure arme pour lutter le stress contre consiste à ne rien faire.
Notes de bas de page
[2] Crise, télétravail… le nombre de burn-out sévères continue d’exploser
[3] Un indépendant sur cinq présente des signes précurseurs de burn-out
[4] Niksen Is the Dutch Lifestyle Concept of Doing Nothing—And You’re About to See It Everywhere

Merci d’avoir lu jusqu’au bout !
Si t’es créateur de contenu et que tu ne veux plus te prendre la tête, j’ai créé une mini-formation gratuite pour créer du contenu plus facilement et t’aider à faire d’une pierre trois coups.
Et si ne rien faire provoque du stress ? Je suis indépendant et quand je ne fais rien je culpabilise. Et le stress peut pointer le bout de son nez. Comment faire ?
J’aimeJ’aime
Bonjour Victor. C’est une bonne question ! C’est super difficile de ne plus culpabiliser et stresser de ne pas travailler.
Tout simplement parce que depuis qu’on est gosse on nous encourage non seulement à bosser h24 (quand on est étudiant on doit faire nos devoirs en sortant de cours, on doit réviser les week-end, on doit réviser pendant nos vacances, et si jamais ce n’est pas le cas on nous fait bien comprendre qu’on est une feignasse qui risque de rater ses études et sa vie…).
Il y a plusieurs choses à faire, dont commencer par accepter que se reposer ce n’est pas de la perte de temps. Il faut essayer de voir le repos comme un investissement en soi : se reposer ça permet d’être plus efficace, plus performant, plus créatif, plus productif etc. Voir le repos comme un investissement et comme une technique de productivité, ça permet de moins stresser.
Un autre truc qui peut aider c’est de planifier tes périodes de repos. Par exemple, tu planifies ton boulot du jour en disant que tu bosses de 9h à 17h (au hasard) et de 17h à 22h tu planifies ton repos (lire un bouquin, marcher, faire du sport, passer du temps avec des potes, regarder un film etc). Le fait de se dire « ok, je me repose mais pas de soucis, c’est prévu dans mon planning du jour, c’est un repos volontaire et intentionnel » bah ça aide pas mal.
Ca peut paraître étrange, mais pouvoir se reposer sans culpabiliser et stresser c’est une compétence comme une autre (surtout parce qu’on nous éduque pour travailler h24 et à associer notre travail et notre valeur individuel depuis qu’on est petit). Donc ça prend un peu de temps pour ne plus stresser. Comme toutes les techniques, à force de pratiquer ça devient de plus en plus simple avec le temps. 😉
J’aimeJ’aime