
En 2016 se produit un événement à ne surtout pas manquer pour les amateurs de littérature fantastique : Stephen King et George R.R Martin se retrouvent pour la première fois sur scène pour discuter ensemble de leurs métiers. Cette longue interview croisée d’une heure se conclut par une question simple de l’auteur de Game of Thrones à celui de Shinning : “How the fuck do you write so many book so fast !?” [1]
Stephen King est probablement l’un des auteurs les plus prolifiques de sa génération. En 50 ans de carrière il a écrit et publié un peu plus de 60 romans et 200 nouvelles. Dont la plupart ont connu des adaptations à succès. C’est aussi un des auteurs les plus adapté à Hollywood. J’ai même découvert avec surprise que Wikipédia consacre une page entière [2] uniquement pour parler de toutes les adaptations de ses oeuvres, tant elles sont nombreuses. C’est une sorte de consécration moderne.
A l’opposé George R.R Martin est également réputé pour prendre son temps lorsqu’il écrit un livre. Un peu trop selon certains fans puisqu’ils attendent la conclusion à sa grande saga depuis maintenant 10 ans. L’auteur n’a d’ailleurs jamais caché ses problèmes d’écritures et les difficultés qu’il peut rencontrer en écrivant la fin de son histoire.
Un problème auquel semble être immunisé Stephen King.
En 2000 il publie Ecriture Mémoire d’un métier. Le livre est à la fois une autobiographie et un essai sur le métier d’écrivain. Entre deux anecdotes sur sa jeunesse, ses problèmes de drogue et sur sa femme, il partage de précieux conseils sur l’art d’écrire. L’auteur dévoile en détail sa méthode d’écriture et sa routine, ce qui permet d’en tirer de nombreuses leçons de créativité.
- Se créer une routine de travail
- Fermer la porte
- Devenir un super consommateur
- Créer pour une seule personne
- Opter pour le repos absolu
Se créer une routine de travail
“Mon emploi du temps, sans être trollopien, est assez rigoureux. Les matinées sont consacrées aux compositions en cours. Les après-midi à la sieste et au courrier. Les soirées à la lecture, à la famille, à regarder les Red Sox à la télé ou à faire des révisions qui ne peuvent pas attendre. Mais c’est avant tout le matin que j’écris.”
Stephen King écrit tous les matins, tous les jours.
Mais sa façon de faire est un peu plus complexe. Il se fixe un objectif de dix pages par jour. Tous les matins il s’enferme dans son bureau et n’en sort qu’après avoir rédigé dix pages. Avec le temps et l’âge il admet lui même que ces dix pages sont de plus en plus difficile à fournir alors il est passé à six pages.
Sa logique est assez simple : dix pages par jour cela lui permet d’obtenir un livre complet en trois mois. Là où d’autres écrivains pourraient faire l’erreur de se dire “je me fixe un an ou six moi pour écrire un livre”, Stephen King préfère miser sur une routine d’écriture. Son travail est le fruit d’une habitude régulière. En écrivant tous les jours, un livre finira bien par naître au bout d’un moment.
C’est la différence entre un objectif et une routine de travail.
L’objectif correspond à la destination que vous souhaitez atteindre, la routine de travail ce sont toutes les actions quotidiennes que vous réalisez pour arriver à destination. Vous pourriez même oublier votre objectif, ou l’ignorer comme le fait Stephen King, et faire confiance à la régularité de votre routine pour vous emmener à destination. The Score take care of itself comme le dit Bill Walsh. Si vous passez tout le match à regarder le panneau du score, vous ne ferez pas un bonne performance et vous risquez inévitablement de perdre. En revanche si vous vous contentez de donner le meilleur de vous même pendant la partie, les yeux rivés sur le ballon, le score reflétera naturellement la qualité de votre jeu.
Un objectif fixe une direction, mais c’est votre routine de travail quotidienne qui vous y emmènera.
Fermer la porte
Ce qui favorise le plus une production régulière (trollopienne ?) c’est une atmosphère de travail sereine. Il est difficile, même pour l’écrivain le plus naturellement prolixe, d’écrire dans un environnement où il est sans arrêt dérangé ou troublé.
J’écris sur un fond de musique assez fort – des trucs de hard-rock comme AC/DC, Guns’n Roses, et Metallica ont toujours été mes préférés -, mais la musique n’est pour moi qu’un autre moyen de fermer la porte.
Les distractions, le manque de concentration est une des plus grosses source de perte de temps. Nous sommes aujourd’hui dans l’ère de l’attention. C’est à dire que c’est avec notre attention, notre manque de concentration, que les entreprises se font leur beurre. Le patron de Netflix dira un jour que leur plus grand concurrent ce ne sont pas les autres plateformes de streaming mais le sommeil. Une réponse dans le prolongement de celle du patron de TF1 lorsqu’il expliqua un jour que le rôle de TF1 consiste à vendre du temps de cerveau disponible pour Coca Cola.
Tous les jours le monde autour de nous tente de s’accaparer notre attention ou notre temps. Une notification par ci, un coup de téléphone par là et une tonne d’emails urgents auxquels on doit répondre le plus vite possible. Tout ce qu’il faut pour nous détourner de notre travail. Un travail de qualité ne peut se faire qu’en étant concentré à fond pendant une longue période de temps.
Une chose est indispensable : une porte que vous tiendrez fermée. La porte fermée est le moyen de dire au monde comme à vous-même que vous ne plaisantez pas; que vous êtes sérieusement décidé à écrire, que vous avez l’intention d’aller jusqu’au bout et de faire tout ce qu’il faudra pour ça. […] La porte sert à vous couper du monde extérieur; elle sert aussi à vous enfermer et à mieux vous concentrer sur votre tâche.
Stephen King ne pourrait jamais atteindre son quota de dix pages par jour, soit deux mille mots, s’il se laissait distraire toutes les dix minutes. C’est seulement en se coupant du monde, en “fermant la porte” qu’il peut se vanter aujourd’hui d’être un des auteur les plus prolifique. Comme il le souligne lui même, toutes les distractions doivent être éliminées au fur et à mesure. En ce qui le concerne il n’y a pas de téléphone dans son bureau. Impossible de le contacter une fois qu’il s’enferme pour écrire. La musique est un moyen supplémentaire pour fermer la porte.
Notre capacité de concentration est aussi précieuse que notre temps. A vrai dire, plus nous sommes capable de nous concentrer, plus nous gagnons du temps. C’est ainsi que nous pouvons entrer par la suite dans l’état de Flow, un état dans lequel notre efficacité et notre productivité est décuplé.
Devenir un super consommateur
N’y allons pas par quatre chemins : si vous n’avez pas le temps de lire, vous n’avez pas celui d’écrire, ni les instruments pour le faire. C’est aussi simple que ça.
Quentin Tarantino doit sa carrière de réalisateur aux milliers de films qu’il a visionné. Stephen King doit la sienne à tous les comics et livres qu’il a eu l’occasion de lire dans sa vie. Il peut paraître inconcevable d’espérer être écrivain sans lire un seul livre, mais c’est pourtant le cas comme s’en désole Stephen King.
Que vous souhaitiez écrire des articles de blog, des publications LinkedIn ou Instagram, créer des vidéos pour Youtube ou Tik Tok, il faudra consommer en masse les contenus de chaque plateforme. C’est le seul moyen pour assimiler les codes et non dits de chacune. Ces petites règles non écrites mais connues seulement des utilisateurs, de la même façon que chaque pays a ses coutumes et habitudes qui permettent de reconnaître en un clin d’œil un touriste d’un habitant.
Créer pour une seule personne
Baptisez cette personne le Lecteur Idéal. Elle sera en permanence dans votre bureau : en chair et en os quand vous ouvrirez la porte et laisserez le monde extérieur venir éclairer votre bulle de rêve, en esprit pendant la rédaction de la première mouture.
Quand on créé, la première erreur consiste à croire qu’on créé pour le monde. Tout le monde est susceptible de nous lire, nous voir ou nous écouter. Donc vaut mieux le garder en tête au moment de la création, n’est-ce pas ?
C’est une erreur commune qui a pour seul résultat de créer des contenus sans âmes et sans réels qualités. C’est ce qui donne ces films ennuyeux dans lesquels il ne se passe pas grand chose parce que les producteurs ont insistés pour que tous les profils de public puissent apprécier le film.
Sur les réseaux sociaux cela revient à répéter des phrases vues, revues et rerevues du genre “après la pluie vient le beau temps”; “on a deux vies, la deuxième commence quand on réalise qu’on n’en a qu’une.”. C’est mignon. Tout le monde peut se retrouver dans ce genre de banalités. Mais dans le fond ça ne raconte rien.
Le Lecteur Idéal sera celui qui vous aidera à sortir un peu de vous-même, à lire, avec l’oeil de vos lecteurs, ce que vous écrivez au fur et à mesure que vous l’écrivez.
Avoir une personne en tête lorsqu’on créé permet de cadrer sa créativité. De l’optimiser. Le lecteur idéal de Stephen King est sa femme. Lorsqu’il écrit une blague dans ses romans, il l’écrit en espérant que ça la fera rire. Lorsque ce n’est pas le cas, il retourne derrière son bureau pour modifier la blague jusqu’à ce qu’il puisse entendre le rire de sa femme. Si vous n’appréciez pas l’humour de Stephen King, en réalité c’est l’humour de sa femme que vous n’aimez pas.
Quand Marvel réalise un film, il le fait pour plaire aux fans de comics et de super héros. Il ne va pas essayer de convaincre mon père qui préfère les films d’actions plus “réalistes” comme L’Arme Fatale. Vouloir à tout prix en faire un fan de Marvel obligerait le réalisateur à diminuer la dose de super-héros dans chaque films et l’utilisation de pouvoirs. Mais ça serait décevoir les fans de la première heure qui eux veulent justement s’en prendre plein la tronche et assister à une orgie de pouvoirs dans tous les sens. Tant pis pour mon père.
Vouloir plaire à tout le monde revient presque toujours à plaire à personne.
Opter pour le repos absolu
Quand je ne travaille pas, je ne travaille pas du tout, bien que, pendant ces périodes d’arrêt total, je me sente en général désagréablement désœuvré et aie du mal à dormir. Ne pas travailler est pour moi le véritable travail.
Depuis des années Stephen King ne travaille que quelques heures par jour. Uniquement le matin. Tous les après-midi sont consacrés au repos, à la sieste et la famille. Depuis que je suis petit on me répète que le secret de la réussite consiste à travailler dur. Travailler dur étant synonyme de “travailler 10 heures par jour, tous les jours”.
En vérité le secret de la réussite consiste à ne pas travailler plus que nécessaire.
C’est à dire rarement plus de 4 ou 5 heures par jour. Une étude réalisée en 1950 a permis de révéler à partir de combien d’heures de travail nous ne sommes plus efficace. Raymond Van Zelst et Willard Kerr ont observé les habitudes de travail de 200 de leurs collègues pour en tirer la conclusion suivante : notre pic d’efficacité est lorsqu’on travaille seulement 4 heures par jour. Nous sommes le moins efficace lorsqu’on travaille 7 heures par jour (les fameuses 35 heures). Quand aux personnes qui travaillent 10 heures par jour, elles sont un chouia plus efficaces mais toujours largement moins que les personnes qui ne bossent que 4 heures par jour.
Le repos et le travail ne sont pas ennemis. Ils sont complémentaires. Pas dans le sens où le repos nous permet d’être plus efficace au travail. Mais parce que le repos fait partie intégrante du travail. Se reposer c’est laisser son cerveau travailler dans son coin. Faire plus de 4 heures par jour de travail intensif, c’est priver notre cerveau des périodes de temps dont il a besoin pour prendre des décisions et tirer des conclusions.
Notes de bas de page
[1] George R. R. Martin and Stephen King at the Kiva Auditorium, Albuquerque NM June 2016

Merci d’avoir lu jusqu’au bout !
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Super article et très agréable à lire, merci ! Du coup je me note le livre de Stephen King que j’ai très envie de lire
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Merci pour ton retour Marine ! Franchement c’est un excellent livre, je te le recommande. C’est un équilibre parfait entre conseils, méthodo et autobiographie. Tout ça avec le style bien à lui de Stephen King, ça se lit et se relit tout seul. 😀
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